samedi 20 octobre 2007

Le dîner de con

Le salon de réception faisait ça à l’ancienne. Têtes d’animaux empaillés, chandeliers. Il y avait même un ou deux fusils sur les murs et quelques dagues. La salle entière était dédiée à la chasse avec scènes de curée sur les murs en grand format. Forcément ça donnait des idées à un prédateur…

Cet idiot de Bertrand pris un air très sérieux – mais il lui était difficile de cacher son excitation, donc on le voyait faire des petits soubresauts brusques à droite et gauche et son visage était illuminé d’un sourire béat. Evidement il se sentit obligé de commencer un discours fleuve en sabir Anglo-marketing que Hubert n’écoutait que très mollement. Il saisis au vol les mots « imput » « augmenter le Return on Investment », « big idea », « brand experience », « interactive disruption ». Hubert était absorbé dans la contemplation du troublant corsage de Betty, placée très justement à côté de lui. Il n’était pas moins mort vivant, mais il ne restait pas moins humain le Hubert. Et il avait cette fascination pour la jeunesse… après tout, il avait bien 424 ans de plus que la petite…

Cette contemplation fut troublée par l’arrivée d’un badge de couleur verte en forme de petite bouteille avec « Betty », que la petite accrocha juste en dessous du téton droit. Betty pris la parole en chuchotant. « Mais Hubert, tu n’accroches pas ton badge avec ton nom » ?

Hubert repris immédiatement ses esprits. Il n’allait pas ruiner son style Yamamoto black avec l’arrivée d’un vulgaire pin’s en plastique. Il grommela vaguement, n’en fit rien et ignora la remarque de Betty. Du coup, pour éviter de se faire griller t, il se mit à contempler les invités. Une belle brochette de jeunes marketeux de bonne famille. Costard cols roulés pour la plupart et cheveux en bataille pour tous. C’est vrai que ce genre de réunion était en théorie « casual wear ». Ca voulait dire, qu’on pouvait se passer de cravate et prétendre être un rebelle de la société de consommation. Bertrand continuait sa péroraison et la plupart écoutaient religieusement. Hubert s’attarda un moment sur Rosa et ils échangèrent un bref regard. Bertrand la rasait visiblement autant. A part le discours barbant de Bertrand, ce genre de séminaire se terminait systématiquement en beuverie innommable où les jeunes marketeux pouvaient prétendre faire du « team building ». Si cela consistait à passer la soirée à raconter des âneries et essayer de se taper la petite Betty, alors Hubert pouvait reconsidérer sa participation à l’équipe.

Le dîner commença et comme à l’habitude, personne n’osait piper mot, absorbé par son assiette – surtout une fois que Bertrand avait plombé l’atmosphère avec son laïus bavard. Quelques conversations à mi-voix commençaient pour des nécessités inutiles. Et vous faite quoi ? Ah oui, très intéressant. Le team building était mal parti. Heureusement, l’alcool commençait à délier les langues et les blagues vaseuses commençaient à circuler. Hubert faisait le lendemain une présentation sur « La disruption ou le chemin du samouraï » donc il y allait mollo de son côté si il ne voulait pas leur expliquer qu’il fallait déjà être mort pour commencer à faire des trucs intéressants… Il ne se l’expliquait pas, mais deux grammes dans le sang faisaient un effet assez étonnant sur les vampires – donc autant garder le gros rouge assez loin.

Le silence se fit quand Rosa porta un toast.

mardi 2 octobre 2007

Que la fête commence !

A priori cette saloperie d’Elisabeth avait une caractéristique physique extrêmement rare mais également très utile lorsqu’on est vampire : elle avait le cœur à droite…
Alors bien sur, le coup du pieu était nettement moins efficace dans ces conditions ce qui d’ailleurs avait participé à asseoir la réputation d’Elisabeth en tant qu’Immortelle parmi les Immortels, ça la faisait bien marrer Elisabeth ! Les vampires étaient bien aussi superstitieux que ces crétins d’humains, quelle tristesse...
Alors que Rosa allait lui expliquer comment Elisabeth avait remis la main sur elle, quelqu’un tapa à la porte de la chambre d’Hubert.
-« Rosa, Hubert ? C’est moi Bertrand, nous n’allons pas tarder à passer à table pour notre premier dîner de séminaire, vous êtes attendu en bas dans 20 mn»
Hubert et Rosa ré-atterrirent brutalement au XXIème siècle. C’était pas tout ça mais il n’y avait pas que les malédictions transgenerationnelles et les armées de morts vivants à gérer, il fallait aussi bosser et trouver des idées « disruptives » pour les alcools Pimper…vampire c’était plus ce que c’était.
-« Bon, c'est pas que je m'ennuie avec toi mais faut que je me change, dit Rosa, j’ai une réputation à entretenir, on reprendra cette conversation plus tard »
-« Ouai, c’est ça, grommela Hubert, d’une humeur de dogue après ce premier échange »
Il ne pensait lui-même qu’à une chose après le voyage en avion, prendre une bonne douche bien chaude. Faut dire que Hubert s’il voletait vaguement comme le font les vampires, avait une sainte horreur de l’avion. C’était pour lui totalement contre nature de voyager dans cet espèce de tas de ferraille à réaction, et puis quitte à s’écraser, il préférait que ce soit de son fait.
C’est donc douché, rasé de près et en total look Yamamoto noir qu’il arriva au dîner. Lui aussi avait une réputation à entretenir, merde ! Déjà une demi douzaine de jeunes marketeux aux dents longues devisaient gaiement autour de la cheminée magistrale un verre à la main. Hubert s’avança parmi eux la démarche féline, le sourire aux lèvres, le regard en biais à la recherche de la plus appétissante des convives. Il était de ceux qui aimaient mélanger plaisir et travail, et puis ils étaient là pour une semaine entière, fallait trouver des distractions !
Alors qu’il écoutait d'une oreille distraite les thérories marketing fumeuses d'une jeune chef de produit blonde et ambitieuse à souhait sur laquelle il avait jeté son dévolu, Rosa fit son entrée.
-« Mon dieu, que cette garce est belle, ne put s’empêcher de penser Hubert lorsqu’il la vit apparaître dans son smocking blanc un camélia à la boutonnière. »
Mais aussi vite, d’autres souvenirs moins agréables lui revirent à l’esprit et il replongea son regard dans le décolleté outrageusement pigeonnant de la blonde Betty, 24 ans, chef de produit Junior pour les liqueurs Pimper, qui affichait son CV avec presque autant de vulgarité que son 90 C.
Le maître d’hôtel vint chercher les convives pour passer à table, les festivités allaient commencer…